L'Enthousiasme (XIII-2) | 左団扇のブログ

左団扇のブログ

ブログの説明を入力します。

Elle ne répondit pas encore. Était-ce pour éviter l’invocation de mes yeux qu’elle détournait les siens ? Mes paroles la touchaient-elles ? Cependant je continuais, dans l’espoir que le son de ma voix la fléchirait.

 Pense à notre pauvre amour, voilà six ans que nous nous aimons, et qu’avons-nous eu en dehors de quelques rendez-vous hâtifs ? Y a-t-il rien de plus triste que cet amour sans intimité, sans repos, sans halte, sans rêveries communes ? Quand je rencontre un couple qui se promène ouvertement, les bras autour de la taille, un couple d’ouvriers ou de paysans qui montrent leur affection ou leur désir comme une chose toute naturelle, tu ne sais pas la peine que j’endure. J’envie les petits ménages bourgeois du dimanche, qui poussent devant eux une voiture d’enfant. Ils ne s’aiment pas comme nous, mais ils vivent ensemble, et c’est cela qui est bon… Songe à cet avenir, ma chérie, vivre ensemble, manger, lire, dormir, voyager ensemble, nous voir autant que nous le voudrions, ne pas se cacher, ne pas mentir, ne pas trembler, marcher dans la rue l’un près de l’autre, entrer dans des magasins, jouir du même soleil, se chauffer au même feu… toute cela est possible… tu n’as qu’à vouloir…

Par moments j’avais l’impression de prononcer des mots qui germaient devant moi comme des graines miraculeuses, et, à d’autres, des mots inutiles qui ne parvenaient même pas à son oreille. Oh ! ce visage fermé ! mon destin était là, inscrit derrière ce front impassible. J’y frappai du doigt, nerveusement.

 Ce que je dis n’entre pas en toi… tu ne nous vois pas habitant la même maison, travaillant sous la même lampe, admirant les mêmes paysages, ayant les mêmes chagrins, les mêmes paysages, ayant les mêmes chagrins, les mêmes plaisirs, les mêmes habitudes, une existence réglée par la même horloge, une âme soumise aux mêmes nécessités. Notre amour est encore pour toi une chose de honte et de ténèbres. Chasse cette idée, Geneviève, notre amour a droit à la clarté, au bien-être, à l’épanouissement. Allons-nous-en, je t’en prie… Mais réponds donc… pourquoi ne réponds-tu pas ? m’écriai-je exaspéré… réponds… préfères-tu que nous nous séparions ?

Elle se jeta sur mon épaule avec effroi.  

 Ne t’en va pas, mon Pascal… non, recommencer comme il y a deux mois !… et puis Berthe qui reviendrait s’amuser de mon désespoir… Oh ! quand elle m’a dit :  « Pascal m’a chargé de te faire ses adieux, il est parti »… Pas cela, mon chéri…

 Eh bien alors, qu’est-ce qui te retient ? Philippe ? tu ne l’aimes pas et, lui, il souffrira moins de ton départ qu’il ne souffre de votre désaccord. Le monde ? on n’en dira pas plus qu’aujourd’hui, le scandale sera d’un moment au lieu d’être de tous les jours… et puis on nous oubliera… Alors viens, ma Geneviève, nous sommes destinés l’un à l’autre, et il est si rare que deux êtres en aient autant de preuves que nous ! Nous n’irions pas vers l’inconnu, nous sommes sûrs d’être heureux ! voici le bonheur, il est entre nous, prenons-le… Allons-nous-en, veux-tu ?

Et elle me dit :

 Oui, Pascal, je le veux… Je le veux depuis l’instant même où tu me l’as demandé.

Je fus stupéfait. La lutte n’avait pas épuisé toutes les réserves de persuasion et de tendresse que j’avais accumulées dans la solitude.

 Tu veux bien ! murmurai-je, que de bonheur j’ai perdu en ne le devinant pas plut tôt ! Aurais-tu voulu, il y a deux mois ?

 Non.

 Ah ! tant mieux.

Cette fois le silence nous rapprocha, et ce fut comme la fin de notre vie ancienne et le début de notre vie nouvelle. Mon cœur trembla d’émotion.

 Je t’aime Geneviève.

Vraiment cet aveu fut le premier. Nos lèvres se joignirent : c’était la première fois. Avide de sa chair inconnue, je m’abandonnai à mon désir. Elle me supplia :

 Pas ici, Pascal, plus tard, quand nous serons réunis.

 Oui, cela vaut mieux, tu es ma fiancée, je ne t’ai jamais eue, et ce sera la nuit de nos noces… Ah ! tu ne sais pas la joie que tu me causes en te refusant pour cette raison. La nuit de nos noces, Geneviève, ce sera là-bas, bientôt.

Je lui décrivis notre maison de Lucéram, nos meubles, notre jardin, nos arbres. Elle me demanda quelques changements dans la distribution des pièces. J’y consentis. Quel délice de rire !

 Nous rirons souvent, mon aimée, nous en aurons le droit… nous avons si peu ri et tellement pleuré !

Une cloche sonna la fermeture du dépôt.

 Sept heures, Pascal, Philippe va rentrer.

 Comme tu es tranquille !

 Tout m’est égal désormais, Philippe peut bien te voir !

 Tu ne dis pas un mot, Geneviève, pas un mot qui ne me frappe de bonheur.

Il y avait une certaine solennité entre nous. Nos yeux ne se quittaient pas.

 Le jour que tu fixeras, Geneviève, je serai à la gare, à quatre heures, j’aurai ton billet pour Paris, tu passeras tout droit. Mais quel jour ?

 Demain, dit-elle.

Je tombai à ses genoux :

 Demain ! tu veux bien demain ! je n’aurais pas cru si tôt… c’est trop… c’est trop… j’en ai mal…

J’embrassais passionnément l’étoffe de sa robe. Elle s’inclina et me baisa au front.

 Ne bouge pas, mon chéri.

Elle s’en alla, puis revint.

 Vite, j’ai éloigné les domestiques, les employés ne sont plus là. D’ailleurs, pour être plus sûr de ne rencontrer personne, passe par les magasins. Tout au fond il y a une porte qui sert très rarement, je l’ai découverte l’autre jour, la clef est accrochée au mur… va, mon chéri, dépêche-toi.

Dans le vestibule, je voulus l’embrasser. Elle me poussa vers le bureau de son mari.

 Non, demain, adieu… oh ! j’ai peur… si Philippe arrivait !

Elle referma la porte sur moi. Un instant j’hésitai : pourquoi ne pas l’entraîner dès maintenant ? Puis c’était si pénible, cette séparation brusque ! Mais la voix de Philippe se fit entendre ; je m’enfonçai dans les magasins, parmi les piles de marchandises. À l’extrémité de cette enfilade de pièces, j’aperçus les ferrures d’une grosse porte dont l’état de délabrement marquait le peu d’usage qu’on en faisait. Ayant tourné la clef et tiré les verrous, je me trouvai dehors, dans une impasse solitaire.